Il n'est pas courant que je prenne la plume pour m'emparer de sujets "politiques". Je suis peintre et les nouvelles ne sont pas bonnes... alors j'imaginais bien laisser cela à ceux qui ont choisi d'en faire leur métier.
Mais ce matin, je me suis réveillée la boule au ventre. La boule au ventre car j'ai réalisé que le corps médical était en passe de ne plus me protéger, de ne plus protéger ceux que j'aime.
Tout de suite j'ai pensé aux amis et aux membres de ma famille qui auraient été éligibles au suicide assisté, il y en a beaucoup... Certains sont morts, certains se sont remis de ces diagnostics qui ne leur donnaient que quelques mois à vivre, certains se sont accommodés d'une nouvelle situation de handicap dans laquelle ils trouvent un bonheur. Tous ont pourtant accusé le coup sévèrement quand est tombé le verdict. Sur le moment peut-être auraient il préféré fermer les yeux pour toujours. Fermer les yeux pour ne pas mener ce combat douloureux et on ne peut que les comprendre.... Mais tous ont vu dans le médecin qui avait prononcé le serment d'Hippocrate et dans les équipes médicales, l'appui infaillible de ceux qui, plus que tous, avaient choisi la vie.... Si cette loi passe, ce sera à chacun d'avoir le cran de se battre...
J'ai pensé aux plus jeunes, aux moins solides d'entre nous et même à moi... Si je n'étais pas capable de résister à un tel choix... Tous le disent en soins palliatifs, "à un moment".... "à un moment j'ai voulu mourir"... un moment, juste un moment qui fera basculer une vie sous le regard apaisé du législateur...
Je me suis recroquevillée en pensant à ma souffrance si l'un des miens choisissait une telle option alors que la médecine fait des progrès tous les jours...
A-t-on posé la question aux proches de suicidés ? à cette douleur qu'ils gardent pour la vie...
J'ai fermé les yeux et j'ai entendu un homme en blouse blanche me dire : "Vous préférez 12 mois de traitements douloureux pour gagner 2 ans de vie ou une piqure qui règlera le problème en quelques minutes ?"... Coup de poignard... Ce n'est pas facile de choisir la dignité...
La dignité ne choisit jamais la facilité, c'est pour cela qu'on la célèbre...
Et pourtant ces deux années seront peut-être les plus importantes, celles où j'apprendrai que ma famille s'agrandit, celles où je me réconcilierai avec un parent, un ami, celles où je poserai un œil plus doux et plus indulgent sur ce monde qui m'entoure, celles où je me préparerai à mourir en paix... une paix pour moi et une paix pour les autres...
Face à la mort, nous sommes certes seul face à ce que nous avons fait de cette vie donnée.
Mais notre mort ne regarde pas que nous... Elle regarde ceux que nous laissons. Ceux qui nous aiment d'abord, puis ceux qui nous entourent et toute la société ensuite. Que nous le voulions ou non, nous faisons partie d'un groupe, d'une société ou chaque vie compte...
A chaque histoire criminelle que j'entends, à chaque scandale pédophile, pour chaque féminicide, je souhaite bien souvent que le criminel meurt. Et pourtant je suis viscéralement contre la peine de mort. Soyons honnête, nous comprenons la famille de la victime qui souhaite la mort de l'assassin mais ceci est inacceptable et la société est là pour le dire. L'intérêt général n'est pas la somme des intérêts particuliers....
Pour la fin de vie, c'est la même chose, c'est à la société de rendre sa dignité à celui qui est diminué, fatigué, las de se battre... Quand je dis à quelqu'un "tu peux choisir de mourir, ta vie ne vas plus être intéressante" quel signe est-ce que je donne aux autres ?
La dignité de notre société, la dignité de l'Homme c'est d'aimer l'autre dans quelque état qu'il puisse être. C'est aimer l'autre même si on ne comprends plus trop ce qu'il dit, même si la maladie et la souffrance l'ont défiguré, même si avec ce qu'il endure il n'est plus vraiment aimable....
Dans un chenil, quand un chien faiblit, le reste de la meute se jette dessus pour l'achever.
En sommes-nous réduit à cela ?
Mesdames, messieurs les députés, si vous votez cette loi vous devrez également retirer le mot "fraternité" de notre devise nationale, elle ne sera plus...